Les Rencontres à l’œuvre
Cycle de conférences Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
En écho aux spectacles Kyoto Forever 2 et Les Cartographies de Frédéric Ferrer, trois soirées-conférences sont prévues au Monfort les lundi 14 février, 18 mars et 15 avril 2019.
Articulées autour de la notion d’anthropocène, qui traverse les œuvres de Frédéric Ferrer, ces conférences lient arts, recherche et questions de société.
L’anthropocène, ou ère de l’homme, désigne une nouvelle ère géologique qui aurait débuté à la fin du XVIIIe siècle, époque où les activités humaines ont commencé à avoir un impact global significatif sur l'écosystème terrestre.
Qu’est-ce que vivre à l’ère de l’anthropocène ? Quelle est la place d’une démarche affirmative et du maintien de la vitalité dans un monde en ruine ? Les Rencontres à l’œuvre se proposent de découvrir comment les acteurs de la culture prennent en compte l’urgence climatique et la crise économique et sociale dans leur travail, au quotidien.
Les Rencontres à l’œuvre ont été créées sous l’impulsion de Marco Renzo dell Omodarme, maître de conférences en philosophie de la culture et directeur adjoint de l’École des Arts de la Sorbonne, en lien étroit avec le théâtre Monfort.
Cette manifestation est coordonnée par les étudiants du Master 2 Gestion des Arts et de la Culture de l’École des Arts de la Sorbonne. Elle bénéficie du soutien de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
PROGRAMME DES CONFÉRENCES
Intervenants : Claire Lejeune et Rémi Beau
Prendre des douches courtes, économiser l’énergie, trier et réduire ses déchets, consommer bio et local… Tant de petits gestes individuels et quotidiens encouragés et présentés comme la réponse citoyenne nécessaire face à la crise climatique. Pourtant, Derrick Jensen proclamait déjà, en 2009, “oubliez les douches courtes”. Et pour cause : la plupart des ressources et énergies utilisées par les particuliers, comme l’eau, ne représentent qu’une faible part de la consommation globale. De quoi faire paraître ces gestes bien dérisoires par rapport à l’activité des grandes industries, qui, quant à elles semblent éprouver de sérieuses difficultés pour transformer leurs pratiques et se mettre au pas. Qu’il s’agisse de déni ou d’une réelle incapacité d’adaptation au sein d’un système qui favorise encore souvent l'utilisation et la circulation à outrance des ressources, des humains et des marchandises, le rythme auquel nous réagissons paraît tout à fait déconnecté des enjeux et de l’urgence auxquels nous faisons face.
Compte tenu du relatif immobilisme ambiant [cf. Kyoto Forever 2 de Frédéric Ferrer] alors que l’étau se resserre inexorablement sur nous, il est temps de s’interroger sur le degré de radicalité nécessaire pour qu’un réel et profond changement s’opère. Peut-on encore croire qu’une “révolution molle”, sans remise en cause du système libéral, pourra instaurer un monde durable ou doit-on en conclure que seule la mise en œuvre d’un activisme plus radical, à l’instar de Deep Green Resistance/Extinction Rebellion serait susceptible d’apporter des résultats à la hauteur des enjeux ?
Intervenants
D’origine franco-britannique, Claire Lejeune est militante et étudiante au sein de deux Master, l’un à Sciences Po Paris en droits de l’homme et l’autre à l’ENS de Lyon en philosophie. Son premier domaine d’engagement a été sur la cause des personnes migrantes, puis l'écologie suite à une série de réflexions, de rencontres et de lectures. Son engagement à Extinction Rebellion découle de cette prise de consciencen: il lui paraît que ce mouvement est l'un des seuls qui fasse preuve de lucidité et propose des modalités d'action qui soient à la hauteur des enjeux.
Rémi Beau est docteur en philosophie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et chargé d’enseignement dans la même université. Spécialisé en philosophie environnementale, il s’intéresse tout particulièrement au corpus américain des éthiques environnementales et au perfectionnisme moral. Il a publié en 2017 un ouvrage intitulé Éthique de la nature ordinaire : Recherches philosophiques dans les champs, les friches et les jardins aux Publications de la Sorbonne. Il a par ailleurs co-dirigé en 2018 avec Catherine Larrère un ouvrage collectif intitulé Penser l’Anthropocène, paru aux Presses de Science Po. Il est enfin l’auteur de nombreux articles de philosophie environnementale, parmi lesquels « Libérer les hommes et la nature ! Fantômes et fantasmes de l’écomodernisme », Tracés, n°33, 2017 et « From Wilderness to Ordinary Nature : A French View on an American Debate », Environmental Ethics, vol.37, n°4, 2015.
Intervenants : Nathalie Blanc et Jean-François Simonin
L’urgence climatique s’impose à toutes et à tous. A l’heure de la crise environnementale et face à l’échec des politiques internationales, chercheurs et intellectuels se sont intéressés depuis quelques années au concept d’Anthropocène. Cette thématique interroge la capacité de chacun et des différentes populations dans le monde à réinventer de nouveaux modes de vie, de production et de consommation, afin de résoudre cette crise écologique. L’Anthropocène analyse et critique notre culture mondialisée, anthropocentrique, occidentale, capitaliste, néolibérale et conflictuelle, voire paradoxale dans son questionnement écologique, rallumé par des constats scientifiques inquiétants.
Cette notion soulève plusieurs questions : Cette culture dominante actuelle, est-elle conciliable avec la transition écologique ? Comment dépasser les contradictions de mondes culturels tout à la fois soucieux d’écologie mais dans le même temps emportés vers la production de modes de vie qui nous éloignent des pratiques éco-responsables ? Comment penser, agir, sentir, créer, vivre autrement ?
Dans cette réflexion autour des cultures écologiques viables, les processus artistiques sont également à réinterroger. Par ailleurs, depuis de très nombreux siècles, l’art façonne notre rapport ainsi que notre regard à la nature. Or, ceux que nous pouvons nommer les éco-artistes revisitent la relation entre les humains et la nature en travaillant autour d’une nouvelle forme de vivre-ensemble commune à tous les êtres vivants. L’art constitue-t-il une manière d’aborder l’écologie différemment ? Est-il pertinent d’aborder le «politique» par le biais du «poétique» ? Les démarches écologiques s’inscrivent-elles dans le processus de création ?
Nos intervenants, provenant de disciplines différentes, sont donc invités à témoigner. Chacun sera convié à apporter sa contribution selon son champ d’expertise. Tout au long de cette conférence, nous souhaiterions creuser les potentialités politiques de la culture qui permettraient de répondre aux urgences climatiques. Utopique ?
Intervenants
Nathalie Blanc, directrice de recherches au CNRS
Parmi les fondateurs du Portail des Humanités Environnementales et l'une des deux coordinatrices de l'axe "Esthétiques environnementales", Nathalie Blanc est directrice de recherche au CNRS et directrice de l‘UMR LADYSS. Son apport à la recherche concerne le thème de la nature et en ville et de l‘esthétique environnementale. Elle a participé à de nombreux rapports de recherche. Pour le ministère de l‘Écologie et du Développement Durable, Nathalie Blanc a notamment dirigé un programme sur la nature et le paysage en ville entre 1999 et 2003 : « Des paysages pour vivre la ville de demain ». Entre 2008 et 2012, dans le cadre de l’ANR Ville durable, elle a également codirigé avec P. Clergeau le programme « Évaluation des trames vertes urbaines et élaboration de référentiels : une
infrastructure entre esthétique et écologie pour une nouvelle urbanité ». Depuis 2011, Nathalie Blanc est aussi la délégué française du projet européen « Investigating Cultural Sustainability ».
Jean-François Simonin, docteur en philosophie
Jean-François Simonin est docteur en philosophe, essayiste mais également conférencier. Professionnel du diagnostic stratégique d'entreprise, il intervient comme consultant au sein de nombreux groupes de l'industrie et des hautes technologies. Jean-François Simonin cherche à anticiper les conséquences sur le long terme que peuvent avoir les processus technologiques, financiers ou encore industriels régissant l’économie mondialisée de ce début de XXIe siècle. Jean-François Simonin a publié trois ouvrages relatifs à ces questions : Anticiper à l’ère de l’anthropocène, La destruction créatrice, une illusion ravageuse, et De nouveaux matériaux pour de nouveaux futurs, aux Editions de l’Harmattan.
Intervenantes : Christiane Geoffroy et Deniz Dalkara
La théorie « Anthropocène », avancée par le météorologue et chimiste Paul Crutzen, désigne une nouvelle ère géologique qui aurait débuté à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle et succéderait ainsi à l’ère Holocène. Partant de ce postulat, et du propos tenu par Christophe Bonneuil, selon qui « l'Anthropocène [est] une humanité abolissant la Terre comme altérité naturelle, pour l'investir entièrement et la transformer en une techno-nature, une Terre entièrement traversée par l'agir humain » (L'événement anthropocène : la terre, l’histoire et nous [Seuil ; 2013]), il s’est avéré nécessaire de focaliser cette table-ronde sur la biologie et plus particulièrement sur les mutations génétiques.
Les modifications et manipulations génétiques sont devenues, depuis quelques années, une préoccupation majeure chez les scientifiques et chercheurs, notamment dans les domaines de la médecine et de l’agro-alimentaire. Au-delà des modifications effectuées sur les hommes, certaines sont volontairement réalisées sur des animaux, des insectes, ou encore sur des végétaux, avec des effets de répercussion les uns sur les autres, complétant ainsi une boucle d'interconnexion entre la faune, la flore et l’environnement.
L’art peut-il servir de médiateur alternatif ? Peut-on utiliser la mutation génétique comme médium d’expression ? Qu'en est-il de la notion d'identité ? Est-on en train de redéfinir notre rapport à la nature ? Peut-on articuler une relation personnelle, poétique et scientifique à un tel objet sensible ?
Intervenantes
Christiane Geoffroy est à la fois artiste, écrivaine, et professeur à la HEAR (Haute École des Arts du Rhin, où elle coordonne, dans l’unité de recherche Faire Mondes, le séminaire Écologie des récits). Forte de plus de 30 ans d'expérience dans le milieu de la culture, son approche se trouve à mi-chemin entre science dure et poétique : elle travaille sur la transmission du vivant et les transmissions des savoirs. Grâce à la vidéo, la peinture, l'installation, elle propose un regard sur des problématiques diverses telles que l'éthique, la biologie, la génétique, les changements climatiques, le comportement animal. Ses œuvres, critiques, interrogent donc un certain rapport à la nature, à la flore comme à la faune, se mêlant à des récits autobiographiques, une vision personnelle. On compte parmi ses derniers travaux le moyen-métrage Climatic Species, présenté au Festival International de Cinéma de Marseille, sa participation au group show The Wind of Time au Lianzhou Foto Festival 2018, ou bien encore l’exposition Même la lune tangue au Musée des Beaux-Arts de Rennes en 2016.
Deniz Dalkara est généticienne, docteure en biologie cellulaire et en biologie moléculaire. Suite à sa thèse soutenue à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg en 2006, elle étudie le transfert de gènes dans les cellules mammifères en utilisant des nanoparticules et des vecteurs viraux. L’application de sa méthode innovante se fait dans le cadre thérapeutique afin de combattre le cancer du col de l’utérus. Son champ de recherche s’élargit par la suite aux biotechnologies, notamment à l’Institut Max Planck en Allemagne et à l’University of California, Berkeley aux États-Unis. Elle continue actuellement son travail à l’Institut de la Vision de Paris grâce à l’optogénétique, qui a pour finalité de prévenir la cécité.
Plus d'infos : m2gac.hypotheses.org